Argent sale et sombres desseins.
Désolace, la nuit.
Assise en tailleur dans la pénombre éclairée par la lueur sinistre du feu gangrené, la gangremage méditait. Un silence pesant régnait dans les grandes salles de la forteresse de Hache-Tonnerre. Un sac était posé à ses côtés, resplendissant brièvement de l'éclat de l'or lorsque la flamme verte des braseros se faisait, par moment, plus intense.
La silhouette pâle et discrète d'une kal'dorei efflanquée à la peau laiteuse se détachait parfois dans le jeu d'ombre et de lumière. Un petit tas de cristaux d'une phosphorescence verdâtre était visible non loin de sa main, qui prélevait machinalement une pierre après l'autre pour les porter sans bruit à sa bouche qui les avalait.
Le Sigil avait partiellement accompli sa mission. Yazgash se trouvait en possession d'un butin d'or prélevé dans la banque d'Orgrimmar, dévastée par la corruption du démon qu'elle avait libéré quelque temps plus tôt, dans le gouffre de Ragefeu.
L'affaire avait été plus difficile que prévu et le Sigil s'était fait repérer par les grunts orcs, mais il avait su s'échapper et disparaître pour ne plus être vu. L'autre épine était que sa nature démoniaque ne l'avait guère protégé de l'influence destructrice de la zone de corruption laissée par son congénère, et qu'il avait du écourter au strict minimum la durée de son incursion furtive parmi les coffres débordant de trésors abandonnés. Du coup, le produit du vol était relativement maigre, en tout cas plus faible qu'espéré.
Yazgash avait écouté en silence le rapport neutre et sans émotion du pantin, observant les stigmates purulents de la corruption démoniaque sur le corps gracile. Heureusement, le démon qui l'habitait avait un contrôle total sur cette chair et pouvait assez largement ignorer sa douleur, sinon il n'aurait sans doute pu regagner sa base en Désolace.
La gangremage avait puisé dans son énergie vitale pour soutenir le corps épuisé de son serviteur et l'infuser d'une vitalité nouvelle. Puis elle avait fourni au Sigil un paquet de pierres de soins démoniaques, afin de refermer les chairs meurtries.
Maintenant, elle réfléchissait.
Elle avait tout juste de quoi payer la commerçante de Lune d'Argent, cette Lethaliw insouciante, pour enfin obtenir certains artefacts de la plus haute utilité, en tout premier lieu cet orbe de tromperie qui lui faisait tellement défaut. C'était malgré tout une avancée. Mais cela ne suffisait pas pour ses projets... Ne devrait-elle pas aller en personne piller cette banque mal surveillée ? Elle disposait du moyen de passer inaperçue le temps juste nécessaire, et disposait, également, de puissantes protections contre la corruption. Qu'il était pénible de devoir s'occuper de ces tâches de basse intendance alors qu'il était évident que ses maîtres de la Légion Ardente disposaient de ressources apparemment illimitées quant il s'agissait des troupes démoniaques.
Il était clair que le Commandant entretenait une défiance à son égard, et qu'il s'amusait à lui compliquer la vie, au prétexte de prouver son engagement et son efficacité au service de la Légion. Mais, elle le savait de longue date, les mortels n'étaient jamais que des pions aux yeux des démons, et n'étaient bons que le temps de leur utilité aux desseins, aux caprices où aux humeurs de leurs maîtres. Après tout, elle savait parfaitement dans quoi elle s'engageait lorsqu'elle avait répondu à l'appel du grand Abyssal dans le désert de Silithus bien des mois auparavant.
Jusqu'ici le pion qu'elle était avait su manœuvrer pour gagner en puissance, obtenir des secrets de pouvoir démoniaque, et rester dans l'ombre et le secret.
Un jour ou l'autre cependant, le plus tard possible certes, mais un jour ou l'autre, elle serait en situation de devoir faire de nouveaux choix, qu'elle soit découverte par les ennemis de la Légion où qu'elle cesse de plaire aux démons, pour une raison ou une autre, sérieuse ou démoniaquement ridicule. Jusqu'à ce jour, elle devait continuer à marcher sur ce chemin dangereux, sur le fil du rasoir, sur le bord du gouffre, sans trembler, sans douter, sans faiblir. Accumuler du pouvoir, de l'influence, des serviteurs, et constituer, dans l'ombre et le secret, le commencement d'un empire occulte et terrible, le premier songe d'une puissance en devenir.
Allons, il fallait faire les choses dans l'ordre.
D'abord prendre livraison de l'orbe et accomplir la mission à Hurlevent. Ensuite, étudier les champs de phasage et déphasage, selon les instructions du Commandant, à partir de l'orbe, des informations extirpées d'Abarot et des autres démons de son engeance, et de ses connaissances en enchantement. Pour cela, elle avait carte blanche, et elle comptait bien demander des moyens supplémentaires à son officier. Toute percée dans ce domaine servirait la Légion, mais ses propres desseins ultérieurs plus encore.
Elle ne devait pas oublier de botter les fesses d'Elbereth, qui n'avait toujours pas accompli son opération à Orgrimmar. Ma foi, cette idiote jouait avec son âme et sa vie ... les démons sont peu patients. Si la chose n'était pas réalisée rapidement, Yazgash savait que l'ordre du Commandant ne tarderait pas, et qu'elle devrait évidemment se charger de la ... non, DES besognes. Orgrimmar ... et Elbereth !
Autre sujet dans sa liste de priorités. Prendre des mesures de protection personnelle sérieuses. Plusieurs pistes étaient à étudier : la transmigration de l'âme dans un autre corps, que les recherches de son père abhorré et le succès, à ses dépens, de son ignoble frère avaient démontré réalisable. Il faudrait rapidement retourner dans la sinistre Vallée d'Ombrelune, au cœur des tunnels haïs de son enfance, pour retrouver les codex et vélins des Feu d'Enfer sur le sujet. En espérant ne pas avoir à suivre leurs traces dans le Temple Noir ...
Autre possibilité : le phylactère des liches du Fléau ... sur ce point, tout était à étudier. Il semblait qu'une guerre se préparait en Norfendre contre les forces du Roi-liche ...