Beru et les psychopomponautes.
"Tiens, Jambon, r'fait moi l'plein de patée." Articulait la grosse gueule en ruine, et mastiquante et la moustache coulante de sauce du gros et vieux Beru, en tendant son auge à une serveuse, qui n'osait pas même le regarder, de peur d'attraper une MST des yeux.
Sur la table, où il s'était vautré une heure plutôt, cheminait sa grosse pogne caleuse et aux poils anarchiques et colorée de barioles bleues, vertes et roses de pastel contre un morceau de carte bon marcher et entre les pichets de petits rouges et de gros bleus, tous vides, et les innombrables soucoupes sous son godet, pour marquer le nombre de fois qu'on l'avait resservi. Barbouillant son vieux morceau de toile, la face froncée, Beru marmonnait et scribouillait les détails de son prochain coup, seul attablé.
Les idées se bousculaient dans sa grosse tête infâme, et l'inquiétude connaissait son adresse.
D'abord cette histoire de "Gueule de Neptulon" dont il peaufinait les derniers détails, et qu'il n'allait pas tarder à révéler à tout l'équipage, mais surtout ce bateau .... ce bateau dans la vase, et que sa navigatrice poilue lui avait promis de sortir des eaux boueuses ...magiquement. Trop de femmes, trop de ... "TROP DE FEMMES !" brailla-t-il, le nez dans ses gribouillis. Trop de femmes, auquel l'ingrat pépé ne faisait pas confiance. Tous les postes importants, comme pour régir le sort de son aventure, étaient occupés par des femmes, et cette idée et surtout celle de savoir quelles femmes, mettait l'ancêtre dans des sueurs froides. Cette navigatrice aussi lubrique qu'imprévisible, et qui n'avait de cesse que de lui contester le commandement du navire, et cette bourgeoise, comtesse d'un pays du sud, et qui n'eut pour jugeote que le bon goût de financer l’expédition.
Chez les femmes du bord, seule l'imperturbable enfant terrible, la "Fille létale", filleule du gros vieux, pouvait relever son niveau de doute. L'eau salée devait couler dans les veines d'une gosse aussi capricieuse et vive, pensait Beru.
L'ancêtre savait commander, comment faire plier une troupe de débiles à son ordre. Il savait commander ! ...Mais commander des hommes, des poilus, des imbéciles. Pas des femmes.
"Les femmes sont de mauvais soldats, les femmes sont des dragons, il n'est pas possible de les mettre en rang, il faut toujours ruser de gentillesse ... ou affronter le feu de leurs petits chagrins."
Heureusement comptait-il parmi sa troupe de drôles, quelques soldats en lesquels il avait une relative confiance : Son ancien maitre-Cannonier, un nain moitié sombrefer, qui avait su prouver son courage et son utilité, du temps où Beru travaillait sur les mers. Et qui, par certaines circonstances fâcheuses, voulait la peau de son vieux Capitaine, parfois.
Et Moustacho, le fidèle Moustacho, qui, malgré son allégeance à Gnomeregan, inspirait confiance et droiture à l'ancêtre. Le gnome était un élément fiable du groupe. Le seul s'il en est.
A la lueur de ses inquiétudes, le gros Beru se fit resservir un pichet de vin, et lui adressa quelques poèmes pathétiques avant d'y siroter.
Les préparatifs pour l'expédition avançaient convenablement, et, portant le graffiti de plan qu'il venait de barbouiller à son regard, le gros ivre fut prit d'espoir.
"C'va aller, Pépé, ç'va aller."